Le samedi 28 mai 2015, à quelques minutes de la cérémonie de clôture de la 34ème édition du Festival du Premier Film Francophone de La Ciotat, nous avons eu le plaisir de rencontrer Laurent LARIVIERE, venu présenter la veille son premier long-métrage, Je suis un soldat, qui obtiendra le soir même deux récompenses majeures : le Louis Lumière du Meilleur Film et le Prix du Scénario. Sorti en salles le 18 novembre 2015, le film est désormais disponible en DVD et VOD depuis le 25 mai.
Propos recueillis par Anne-Sophie GIRAUD
Vous présentez ici votre premier long-métrage, Je suis un soldat. Pourriez-vous présenter votre parcours avant ce film ?
Je n’ai pas fait d’école de cinéma. Donc mon apprentissage ça a été le court-métrage. J’en ai réalisé six. Des tentatives très différentes les unes des autres cinématographiquement, dans des genres multiples. Notamment deux films assez littéraires que j’ai réalisés en collaboration avec Olivia ROSENTHAL qui a eu le prix du livre Inter il y a 2 ans. En fait, j’avais besoin de passer par le court-métrage pour identifier quel était mon cinéma et aussi identifier et comprendre par moi-même, et non pas de manière théorique, la spécificité du langage cinématographique. Et tout ça a pris une quinzaine d’années quand même. Donc, en parallèle, je travaillais au théâtre pour gagner ma vie et j’ai réalisé six courts-métrages sur quinze ans.
Je suis un soldat évoque la question de la honte sociale avec Sandrine, trentenaire obligée de retourner vivre chez sa mère à Roubaix. Le film s’inscrit parfaitement dans le contexte actuel composé de la crise et du chômage…
Oui, complètement, pour moi. J’avais envie que le film soit perceptible par le spectateur à différents niveaux. C’est-à-dire que si on veut le voir uniquement sur le plan narratif et rentrer dans cette histoire du trafic de chiens, du polar, c’est possible par la porte du polar, du thriller. Si on veut y voir davantage un film sur la société contemporaine et les difficultés sociales à trouver sa place dans le monde, c’est juste aussi. Si on veut y voir, de manière plus générale, une allégorie de la violence contemporaine, c’est possible aussi. J’avais envie qu’il y ait différentes couches et différentes portes d’entrée pour le film. Donc, oui, j’espère que le film parle de la société contemporaine.
Les personnages font face avec dignité, ils ne se plaignent jamais de leur situation…
Oui, c’est très important ça. Parce qu’en fait quand on n’a pas beaucoup d’argent et qu’on est face à des problèmes, on ne se plaint pas toute la journée. On fait face, c’est notre réel, c’est notre quotidien et la vie apporte son lot de bonheur, de joie. Et donc je voulais vraiment que les personnages ne soient absolument pas dans la plainte, qu’il n’y ait pas de misérabilisme, qu’il y ait beaucoup d’amour dans cette famille, beaucoup d’entraide et de solidarité. Après, l’extérieur fait qu’ils ont tous à faire face à des difficultés soit intimes, soit sociales qui les renvoient tous un peu à une certaine solitude. Ils sont quand même tous ensemble et assez seuls. Mais en tout cas, jamais dans la plainte.
Ils font face à des difficultés financières, mais pourtant l’argent – notamment par le biais des billets de banque – occupe une part considérable durant le film…
Le film pose la question de savoir jusqu’où on est prêt à aller pour trouver une place dans la société. Et, quand même, le nerf de la guerre, c’est gagner de l’argent. Le film montre à quel point l’argent a pris une ampleur, une place considérable. On ne parle plus que de ça. A ce titre, il y a une scène assez emblématique : celle où le beau-frère du personnage de Sandrine détruit sa maison qu’il commence à construire en disant qu’il n’y arrive pas et qui se demande comment font les autres parce que lui il travaille, sa compagne travaille et que, même avec deux salaires, ils n’arrivent pas à atteindre un rêve somme toute assez simple qui est de construire une petite maison en banlieue de Roubaix. Et il pose la question à Sandrine de « Comment font les autres ? » au moment où, elle, est en train de s’enrichir et de s’en mettre plein les poches en trafiquant, de manière malhonnête. Donc, oui, la question de l’argent, elle est centrale.
On assiste à une montée en puissance tout le long du film entre les deux personnages : d’un côté, Henri, qui veut tout diriger, et de l’autre Sandrine qui s’émancipe petit à petit de cette autorité…
L’idée c’était que l’élève dépasse le maître. Et c’est le paradoxe de sa situation. On comprend dans le film que ça fait longtemps qu’elle cherche du travail, qu’elle n’en a pas trouvé, qu’elle a sans doute plus de droits ASSEDIC, qu’elle a du quitter son appartement à Paris et laisser toute sa vie parisienne. Et tout d’un coup dans ce trafic là, elle gagne beaucoup d’argent et sans doute de quoi mettre de côté pour repartir et, en même temps, cet argent est issu du trafic et de la souffrance. Donc, elle est au cœur d’une question morale.
Comment avez-vous pensé à Louise BOURGOIN pour interpréter le rôle de principal, bien loin des rôles qu’elle incarne habituellement ?
Carrément. Je crois que les acteurs cherchent ça aussi. Souvent ils disent que quand ils ont joué un gentil, on ne leur propose plus que des rôles de gentils… En fait, je connaissais Louise par le biais d’un atelier de théâtre où on s’étaient rencontrés et où j’avais vu qu’elle avait une profondeur, une mélancolie, que je n’avais encore jamais vu à l’écran. Parce qu’effectivement elle avait joué plutôt dans des comédies où c’est son aspect solaire et assez drôle qui était mis en valeur. Et je me suis dit il y avait un potentiel dramatique chez cette comédienne que j’ai eu envie de montrer. Et donc j’ai écrit le scénario pour elle mais sans le lui dire. Et puis un jour, par amitié, elle m’a dit si tu veux que je lise ton scénario et éventuellement que je t’aide à trouver un producteur, je veux bien. Je le lui ai donné sans lui dire que c’était pour elle. Elle l’a lu et elle m’a appelé pour me dire qu’elle adorait le scénario, qu’elle le trouvait très fort, très visuel, en me disant que la comédienne qui allait avoir ce rôle allait avoir énormément de chance. Et c’est là que je lui ai dit « il est pour toi ». Et elle m’a dit oui tout de suite. Et je pense qu’elle a senti tout le potentiel, la chance que ça allait être pour elle de révéler une autre part d’elle-même. Et j’espère que le film va lui permettre d’accéder à d’autres types de rôles. Des gens qui peut-être ne l’imaginaient pas capables d’être dans cette rudesse, dans cette âpreté, et dans ce rapport physique aussi. Parce que le rôle est très physique, car c’est elle qui a fait toutes les cascades.
Je suis un soldat est un film à la fois très noir (avec la dureté du milieu dans lequel Sandrine évolue) et très lumineux (notamment dans la relation que Sandrine entretient avec Pierre, le vétérinaire). Etait-ce une volonté dès le départ ?
L’idée, c’était de trouver un équilibre pas par quelque chose d’un peu moyen, mais d’aller très loin dans la noirceur et aussi très loin dans la solidarité, parfois dans l’humour et dans la douceur comme avec ce personnage de Laurent CAPELLUTO, le vétérinaire. Et de travailler sur les contrastes pour que les deux, la noirceur et la lumière, ressortent particulièrement.
Comment avez-vous vécu la sélection à Un Certain Regard ?
Merveilleusement. C’est une chance inouïe pour le film parce que vous êtes sélectionné à Cannes, vous avez une exposition nationale et internationale qu’aucun plan de communication ne peut vous offrir, surtout pour des films un peu difficiles comme Je suis un soldat, comme vous le disiez assez noir. Donc c’est une chance inouïe d’avoir pu faire parti de cette sélection.
Et, à contrario, comment avez-vous ressenti l’échec du film en salles, sorti dans une mauvaise période ?
Je l’ai vécu très mal. Ça a été très douloureux parce qu’effectivement le film est sorti quatre jours après les attentats donc il y avait entre 50 et 74% de personnes en moins dans les salles. Et ce type de film, il faut qu’il marche tout de suite pour pouvoir générer du bouche à oreille. Et comme il n’y avait personne au début de la carrière du film, on n’a pas pu s’installer sur la durée. Le film a été enlevé des écrans très rapidement. Donc, ça a été très dur car on avait eu une bonne presse, on était allé à Cannes, il y avait eu une médiatisation importante grâce à Louise BOURGOIN et Jean-Hugues ANGLADE, et tout d’un coup on a eu l’impression d’être arrêtés dans notre élan. Donc, il faut plusieurs mois pour le digérer. Après, le film a fait des festivals, il sort en DVD, il va passer sur Canal +. J’espère que les gens auront envie de le voir et qu’ils l’ont quand même identifié suite au festival de Cannes, à la promotion qu’il y a eu autour du film et qu’ils auront envie de le voir soit en VOD, soit en DVD.
Quels sont vos projets désormais ?
L’écriture d’un deuxième long-métrage, avec la volonté de ne pas faire Je suis un soldat 2. Donc, vraiment trouver un sujet, des personnages, une manière d’aborder le cinéma très différente de Je suis un soldat. Je suis au début de l’écriture d’un nouveau projet. Je ne sais pas encore quel projet précisément ça va être, mais je suis en train de travailler.
Pour conclure, en tant que spectateur, quel cinéma vous enthousiasme ?
Il y a beaucoup de choses et beaucoup de choses très différentes les unes des autres. Pour ce film là, l’inspiration ça a vraiment été deux pôles différents : les frères Dardenne pour la manière qu’ils ont d’inscrire au cœur de leur cinéma une question morale. Leurs personnages sont toujours confrontés à une question morale et ça devient une question de cinéma et je trouve ça très beau. Et puis pour le côté thriller, je cite souvent James Gray : Two Lovers, La nuit nous appartient, The Yards. Ce sont les films qui m’ont vraiment marqués.
Un grand merci à Laurent LARIVIERE d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
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