Rencontre avec Gilles BANNIER (25/05/2016)

Le mercredi 25 mai 2016, durant la 34ème édition du Festival du Premier Film Francophone de La Ciotat, nous avons eu le plaisir de rencontrer Gilles BANNIER. Bien connu des sériephiles (il a notamment réalisé la série Paris mais aussi des épisodes de Reporters ou de la saison 2 de Engrenages), il présentait à cette occasion son premier long-métrage, Arrêtez-moi là, sorti en salles le 6 janvier 2016 et qui est désormais disponible en DVD et VOD depuis le 11 mai dernier.

25 - Gilles Bannier

Propos recueillis par Anne-Sophie GIRAUD

Contrairement aux autres réalisateurs présents dans cette compétition qui viennent pour la plupart du court-métrage ou du scénario, on vous a essentiellement vu œuvrer pour la télévision avant ce film. Qu’est-ce qui vous a amené à passer au long-métrage ? Et quelles sont les différences majeures pour vous entre les deux supports ?

Ce qui m’a amené à passer au long-métrage, c’est un roman de Iain LEVISON, qui est un romancier que j’adore. Il a écrit le roman éponyme qui m’a tout de suite donné envie de faire un film et non pas une série. Ensuite, c’est l’envie de raconter une histoire sur 1h30 plutôt que sur 4, 5, 6 ou 7 heures comme c’est le cas avec les séries – que j’adore – mais qui est un format un peu particulier où on développe de façon sérielle une longue histoire. Et j’avais envie, car ma culture c’est le cinéma depuis toujours, de me confronter à celle-ci et de me faire un film qui me permette de raconter une histoire sur 1h30.

Maintenant, comment est-ce que j’ai appréhendé le passage au long métrage ? Il y a une démarche bien particulière à partir du moment où l’on se dit que les gens prennent 2 heures de leur temps, payent 10€, coupent leur téléphone portable et se mettent dans le noir pour voir le film pendant 2 heures. Ce n’est pas du tout la même démarche que de consommer des épisodes de séries sur un ordinateur ou une télé, en se levant pour ouvrir la porte, répondre aux SMS, répondre à son entourage ou que sais-je encore. Le cinéma permet de capter l’attention du spectateur narrativement de façon différente. Une série télé, de part la traction du monde extérieur, doit être filmée en gros plan, montée rapidement et avoir des rebondissements permanents, même scientifique établis, de façon à ce que le téléspectateur ne s’en aille jamais, alors que le cinéma permet une narration plus ample qui permet de développer une histoire avec un rythme différent. Il obéit moins à une dictature du rythme, même s’il obéit quand même à une dictature du rythme. Et donc, ça m’intéressait évidemment beaucoup de voir comment ma mise en scène pouvait changer, ou pas, en fonction de cette mission, de cette exploitation et de cette appréhension d’un film.

06 - Arrêtez-moi là

Arrêtez-moi là est donc une adaptation du roman The Cab Driver de l’auteur américain Iain LEVISON, lui-même inspiré d’un fait divers. Comment s’est déroulé l’adaptation, notamment au niveau de la transposition au système judiciaire français, très différent du système judiciaire américain ?

Avant de se lancer dans l’écriture du scénario, nous avons pris un consultant, Eric BARBELOZI, qui est un avocat pénaliste nous permettant de mesurer si l’adaptation dans le système judiciaire français était viable et n’affaiblissait pas le récit. Et ca n’est qu’uniquement après cette consultation que nous avons décidé de nous lancer dans l’adaptation car on a vu pleins de nouvelles pistes tout en respectant la réalité du système judiciaire français. Nous avons beaucoup travaillé car, à partir du moment où je raconte une erreur judiciaire – et j’avais quand même une connaissance du monde judiciaire que j’ai accumulé au fil de mes expériences à la télévision dans la police et la justice -, j’étais très attentif au fait de ne pas raconter d’histoires, je voulais que mon histoire reste plausible et elle l’est, ce qui a étonné beaucoup de gens. Donc voilà c’était passionnant de transposer cette histoire qui se passe dans le haut Texas dans le roman à la Côte d’Azur qui est un peu notre Texas local.

L’erreur judiciaire est tellement « énorme » que l’on se dit, en voyant le film, « ce n’est pas possible qu’une telle histoire puisse arriver en France »…

Absolument. C’était aussi une ambition. Le nombre de fois où l’on se dit dans la vie ou dans les films que la réalité dépasse la fiction. Le nombre de fois où l’on vit ou que l’on nous relate des choses incroyables. Et on se dit que dans les films on n’oserait jamais faire ça alors que ça arrive dans la réalité. J’ai prouvé que la justice pouvait valider une telle histoire et que ça pouvait arriver. Et d’ailleurs, en étudiant, en interviewant ou en lisant les propos de personnes victimes d’erreurs judiciaires lourdes en France, il y a des faisceaux, des réponses, des aptitudes, des réflexes qui sont toujours les mêmes et que j’ai utilisé pour mon personnage qui était aussi dans le roman. Donc tout ça a du sens.

On note un certain parti pris esthétique avec des plans caméras à l’épaule et une utilisation de la lumière naturelle. Est-ce une volonté de votre part afin d’ancrer davantage l’histoire dans le réel ?

Oui, je ne voulais pas qu’il y ait une belle lumière qui écrase tout le reste. Je voulais de la lumière invisible bien que ce soit un pléonasme gigantesque. Je ne voulais pas que la lumière soit un personnage central du film qui attire l’attention. Sans être pour autant totalement moche, je ne voulais pas qu’elle atteste une quelconque ambition artistique qui tuerait l’ancrage dans la réalité du film.

Pour la mise en scène, j’ai toujours mis en scène à l’épaule. Là, j’ai un peu calmé l’épaule, car ce n’était pas un film qui s’y prêtait tant que ça, de façon à ce que le spectateur ne soit pas sorti du récit par une caméra trop agitée, bien que 80% du film ait été tourné à l’épaule mais de façon plus apaisée. Mon désir était de respecter un cadre réel et mettre des personnages vivant des choses intenses dans ce cadre réel.

Le fait de tourner dans une véritable prison avec la participation de vrais surveillants pénitentiaires et de véritables détenus y participe également…

Le fait de tourner dans une vraie prison participe exactement du même principe qui consiste à mettre les acteurs dans une situation réelle. Le fait de tourner dans cette prison de La Farlède à Toulon – parce que les surveillants sont pour la plupart des vrais surveillants, les détenus que l’on voit au loin derrière Samson sont de vrais détenus -, je peux vous assurer que l’on n’est pas dans le même état que lorsque l’on tourne dans un décor que l’on a reconstitué où l’on est chez nous, tranquille. Là, on rentre dans la prison, on est enfermé dans la prison toute la journée, on en sort le soir et c’est une expérience intense. Et pour les acteurs, c’est très très important.

Vous retrouvez dans ce film Reda KATEB qui interprète le rôle principal et que vous aviez « découvert » dans la saison 2 de Engrenages (Canal +). Ce n’est d’ailleurs pas le seul acteur avec qui vous avez travaillé à plusieurs reprises (Jérôme ROBART, François CARON, …). Est-ce quelque chose d’important pour vous cette « fidélité artistique » ?

C’est capital. L’idée de troupe, travailler plusieurs fois avec les mêmes acteurs et poursuivre une collaboration avec certains acteurs a beaucoup à voir avec l’idée de troupe. Et moi j’aime énormément les acteurs et quand je rencontre des acteurs avec qui je passe un bon moment dans le cadre du travail et avec qui je m’entends très bien, j’ai envie de recommencer avec eux. Reda, c’est absolument flagrant car je ne voulais pas écrire le film pour un acteur, mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser à lui en l’écrivant au point que je lui ai dit « Reda je suis en train d’écrire un film. Je ne voulais pas faire de casting, je voulais garder cette phase-là de distribution pour après le scénario, mais je ne peux pas m’empêcher de penser à toi » et il m’a dit « fais moi déjà lire ton scénario et on verra ce que j’en pense ». Il a dit oui car il en avait très envie. Et c’était très important pour moi de retrouver Reda toutes ces années après lui avoir donné son premier rôle à la télévision dans Engrenages parce qu’il a fait un grand chemin, qu’il continue à faire. Et c’était une vraie joie.
J’aime continuer à travailler avec des acteurs avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler. Et je continuerai à travailler avec ces acteurs.

Paris (Arte)

Si vous le voulez bien, j’aimerais revenir sur Paris, la série diffusée sur Arte en 2015 qui offre un subtil chassé-croisé entre 12 personnages le temps de 24h dans la capitale.

Avec plaisir. Vous savez que Paris est une épreuve pour moi ? Ca a été très difficile.

Justement, quel était le challenge pour vous sur cette série ?

Le challenge principal de Paris c’est comment s’attacher à des personnages qui vont rester si peu à l’écran et qui vont laisser sans cesse leur place à d’autres personnages qui n’ont rien à voir. Comment les aimer ? Pas moi, je les aimais tous. Comment faire pour que le public s’y attache ? Et comment, en plus, aimer des personnages qui se comportent mal ? Car, à part Alexia, qui est le rôle de la transsexuelle, j’avais que des personnages qui se compromettaient et se comportaient mal. Donc le challenge était très très fort et très difficile à relever.

J’ai adoré faire Paris. Mais c’était très compliqué avec la chaîne Arte qui n’avait plus envie d’une série chorale quand je leur ai présenté le montage et qui m’a fait remonter toute la série parce qu’il pensait que le premier épisode n’était pas assez accrocheur. Ils n’ont pas joué le jeu du scénario. Le scénario c’était 24h, donc l’aube n’était pas si passionnante que ça, et l’arrivée crescendo dramatique qui commençait un petit peu, en ambiance, tranquille, atmosphériquement, comme l’est souvent le matin, et qui finissait en feu d’artifice. Eux, ils ont voulu qu’il y ait dès le début des actions violentes, mémorables, des évènements beaucoup plus forts que ce que le scénario avait prévu et donc il a fallu, sous peine de ne pas diffuser ou de diffuser à des heures indues, remonter tout le film. Donc il a fallu repenser, réinventer toute l’histoire. Evidemment, le concept reste le même et la fin est restée la même, mais tout remonter a des incidences sur tout le reste et sur toute la fin. Ca a été un combat homérique au montage pour arriver à cette série que j’aime, car j’aime le résultat. On ne m’a pas obligé à faire quelque chose que je n’aime pas. Je me suis battu pour retrouver une nouvelle narration que j’aime autant. Mais ça a été très compliqué. C’est la raison pour laquelle je suis très attaché à Paris.

Paris et Arrêtez-moi là ont d’ailleurs deux caractéristiques semblables : ils n’ont pas été soutenus, ils n’ont pas été assez promus par le diffuseur. Paris n’a pas eu de promotion et a quand même fait 800 000 spectateurs ce qui est énorme sur la chaîne. Il n’y a pas eu de promo, juste de la presse qui était plutôt bonne. Ils nous ont un peu laissés tomber et c’était un peu difficile. Mais, néanmoins, il y a eu de vrais bons retours. Et Arrêtez-moi là, c’est pareil. Il n’y a quasiment pas eu de promo car le distributeur n’avait pas de budget pour la faire. L’attaché de presse, par contre, s’est battu pour que les gens le voient et le défendent aussi si tel était leur souhait. Mais tout ça, ça fait partie des expériences du cinéma et de la télévision.

La diffusion n’a pas été à la mesure, parce qu’on a bien vu en présentant le film – on a fait beaucoup de festivals et de tournées en province – qu’il y avait eu énormément de bons retours sur le film. C’est comme une injustice, mais c’est comme ça. Je m’en souviendrai pour le prochain film.

En parlant de prochain film, quels sont vos projets désormais ?

J’ai deux projets de long-métrage en France : un film politique et une comédie.

Je ne sais pas lequel des 2 va se faire en premier. Je dirais la comédie car c’est plus facile à financer mais c’est même pas sûr. Et il se trouve que j’ai commencé à travailler en Angleterre l’année dernière car j’ai réalisé 2 épisodes de la série Tunnel qui, maintenant, est une série quasiment anglaise bien que coproduite par Canal +. Et ca s’est si bien passé que là je suis en train de travailler sur une autre série anglaise : je réalise deux 60 minutes pour la BBC One, totalement en anglais cette fois-ci. J’ai fini de tourner la semaine dernière et je rentre en montage demain (ndlr : le 26/05/2016). C’est une série qui s’appelle In the Dark, policière mais pas que, basée sur les personnages là aussi et qui s’annonce assez forte émotionnellement. C’est une série qui raconte comment une femme revient dans le village de son enfance et on va comprendre comment elle a été abusée dans son enfance par un stratagème narratif très particulier. Donc j’ai maintenant une carrière qui s’ouvre en Angleterre parce que j’ai d’autres projets là-bas et que j’aime beaucoup travailler en Angleterre. J’espère passer d’un projet anglais à un projet français, que ce soit cinéma en France (ou télé si j’ai un bon projet) à la télévision en Angleterre parce que l’industrie du cinéma, contrairement à la France, est très réduite en Angleterre, alors que l’industrie de la télé est très développée.

Pour conclure, en tant que spectateur, quel genre de films aimez-vous regarder ?

Je suis très éclectique dans mes goûts et très curieux donc beaucoup de films m’intéressent. Mais si vous voulez, j’aime le cinéma américain indépendant, le cinéma du nord de l’Europe, le cinéma anglais, le cinéma français dans une toute petite mesure. Il y a très peu de réalisateurs en France. Je peux vous les citer : Jacques AUDIARD, Stéphane BRIZE, Bruno DUMONT, …. J’aime le cinéma qui s’intéresse aux hommes et qui raconte la comédie humaine, donc les drames et l’humour en même temps en général, quels que soient leur nationalité ou leur budget.

Et en matière de séries ?

J’aime les séries qui ont le même registre et qui racontent la comédie humaine. Mais aussi qui donnent la part belle aux personnages, qui développent le personnage avec une liberté narrative et une liberté tout court que seules aujourd’hui les séries peuvent offrir. La première série qui m’a marqué à jamais c’est The Wire par sa puissance documentaire, la force de ses personnages et ses mini-tragédies et ses grandes tragédies. Et toutes les nouvelles séries américaines que j’adore et les séries anglaises aussi que j’aime beaucoup. J’aime les séries policières quand elles sont originales et qu’elles sont centrées sur les personnages et non pas sur les intrigues. J’aime les séries centrées sur les personnages. Voilà pourquoi j’ai beaucoup aimé The Bridge / Bron parce que c’est un suspense haletant mais on n’a pas oublié les personnages au passage. Et c’est capital pour moi. La série permet pour moi d’aller dans l’intériorité des personnages et de creuser et de montrer, de rentrer dans la vie des personnages et c’est ce qui m’intéresse. C’est la raison pour laquelle je fais des films et des séries. Je suis avant tout amateur de ces séries humaines et réelles.

Un grand merci à Gilles BANNIER d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

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