Nous connaissions Arte pour son audace dans les sujets traités au travers de brillants téléfilms. Mais depuis 2012, la chaîne franco-allemande s’illustre également par la production de séries avec notamment Ainsi Soient-ils dont la saison 2 arrivera à la rentrée. En attendant cette suite, leur nouvelle série du moment est programmée ce soir à 20h45.
En trois épisodes, 3X Manon nous plonge dans le milieu carcéral adolescent avec l’histoire de Manon, 15 ans, envoyée dans un centre éducatif fermé après avoir tenté de poignarder sa mère.
Afin d’en savoir plus sur cette mini-série d’exception, nous sommes allés à la rencontre de Jean-Xavier De Lestrade, coscénariste et réalisateur de cette fiction qui a remporté le prestigieux FIPA D’OR lors du Festival International de Programmes Audiovisuel à Biarritz en janvier dernier.
Nicolas SVETCHINE : Comment est née cette mini-série ?
Jean-Xavier de Lestrade : C’est un projet que j’avais en tête depuis plusieurs années. Je voulais faire un film autour d’un questionnement sur l’amour parental. C’est parti d’une relation entre une mère, une fille. Comment cette mère aime sa fille ou comment elle aime mal et quelles en sont les conséquences. Le point de départ, c’est une histoire de famille avec le parcours d’une jeune adolescente qui est submergée par sa propre violence, qui ne la comprend pas. Je voulais décrire la manière dont on peut sortir de ce cercle tragique de la violence.
« Le fait divers et judiciaire est un prisme extrêmement efficace pour prendre le pouls de la santé d’une démocratie »
On vous connaît surtout comme réalisateur de documentaires. Par ce genre, vous avez exploré à de nombreuses reprises le monde judiciaire avec Un Coupable idéal, Soupçons : la dernière chance et La Justice des hommes. Pourquoi ce domaine vous intéresse-t-il tout particulièrement ?
Je crois qu’à travers la justice, à travers la mécanique judiciaire, on peut raconter beaucoup de ce qui nous touche et il y a aussi beaucoup du fonctionnement d’une société.
Le fait divers et judiciaire est un prisme extrêmement efficace pour prendre le pouls de la santé d’une démocratie. C’est aussi une manière d’étudier, d’observer la complexité de l’être humain parce que bien évidemment la base même du fait divers, c’est que quelqu’un, un être humain, a franchi une ligne, un interdit. Tout le monde a des fantasmes de franchir les interdits, de franchir les lignes blanches sauf que là quelqu’un l’a fait. C’est une sorte de miroir de nous-mêmes. On observe dans le réel l’intériorité de ce que nous sommes.
Comment passez vous du documentaire à la fiction ? Quel est votre cheminement ?
Pour moi c’est un cheminement naturel. Mes documentaires étaient principalement construits dans une forme dramaturgique, narrative, très proche de la fiction. Je voulais me confronter aussi à ce mode d’expression qui est d’une certaine façon le même puisqu’il s’agit de raconter des histoires, d’émouvoir un public, de le tenir en haleine et le sensibiliser éventuellement sur les faits de société. C’est un peu le même métier sauf qu’il s’exerce de manière extrêmement différente. Il y a d’une certaine manière beaucoup plus de liberté dans la fiction puisque quand on est à l’origine de l’histoire, on l’imagine, on la pense, on crée le réel alors que dans le documentaire on est totalement tributaire et au service de ce réel.
« Le documentaire est une école d’humilité […] Ça m’a amené à acquérir une qualité d’écoute, de regard, d’attention »
Avez-vous procédé à des techniques de réalisation similaires au documentaire pour 3 X Manon ?
Avoir fait du documentaire pendant plus de 15 ans aiguise votre regard d’une certaine manière. Il y a une attention portée aux autres, il y a une qualité d’écoute qui s’aiguise. Le documentaire c’est vraiment une école d’humilité : votre premier travail est d’observer et essayé de capter le réel mais vous n’agissez pas sur le réel. En fiction, il faut être extrêmement actif car on construit les choses en permanence. On est un moteur en tant que réalisateur. Les documentaires m’ont amené à acquérir une qualité d’écoute, de regard, d’attention. Et je pense que porter ça, notamment vis-à-vis des comédiens, c’est un plus. Ce qu’on recherche tous que ce soit en documentaire ou en fiction, c’est atteindre une forme de vérité. Et dans 3 X Manon, le premier défi qui était à relever, c’est de rendre vraiment extrêmement sincère cette histoire-là.
Quant à la mise en scène, nous nous rapprochons un peu du documentaire dans la manière de filmer avec une caméra assez mobile, portée. L’idée avec la chef opératrice Isabelle Razavet, c’était de porter un regard de documentariste sur la réalité qu’on créait, c’est-à-dire vraiment être à l’affût des réactions, saisir comme si on filmait du réel, comme si on filmait un documentaire.
« Un film doit être avant tout un outil de réflexion, que ce soit un documentaire ou une fiction »
Dans cette série, il n’y a pas de jugement, vous laissez le soin au téléspectateur de se faire sa propre opinion… Ce n’est pas toujours le cas en fiction française à la télévision où il y a souvent un parti pris pour de nombreux téléfilms de société…
Pour moi, un film doit être avant tout un outil de réflexion, que ce soit un documentaire ou une fiction. Dans 3 X Manon, il s’agit d’abord de nourrir une réflexion, un questionnement, une interrogation et au-delà une émotion chez le téléspectateur. Ce à quoi je m’attache surtout, c’est à ce que les films laissent une trace émotionnelle chez ceux qui le regardent.
Cette série sonne très juste par son réalisme mais en même temps vous dites qu’il ne faut pas chercher à être trop réaliste. Vous avez par exemple refusé de vous rendre dans un centre éducatif fermé. Comment s’y prend-on alors pour faire ce dosage, pour arriver à un certain équilibre quant au réalisme ?
Quand on écrit quelque chose de très réel, -et c’est le cas ici puisque il s’agit d’une adolescente qui va être enfermée pendant six mois dans un centre éducatif fermé- le danger c’est qu’au fond le réel vous donne à voir des choses qui seront très difficilement représentables en fiction. Le réel est souvent beaucoup plus fort, puissant et offre des trajectoires beaucoup plus complexes, tordues, inattendues que la fiction ne peut se permettre. Le danger en allant visiter un centre éducatif fermé, c’était de rencontrer des trajectoires d’adolescentes qui soient tellement fortes qu’il aurait été difficile de ne pas être tenté de les écrire. Et en même temps, ces histoires-là du réel, une fois transposées en fiction, ça ne fonctionne pas parce qu’elles sont trop extraordinaires finalement.
Interview réalisée en partenariat avec NewsTele.com
Réseaux Sociaux