Par Michaël ROSSI
Paris, 1968, un jeune californien (Michael PITT) s’amourache d’une ville lumière à feu et à sang… Un cœur innocent qui bat au rythme d’un nouveau son contestataire qui raisonne dans l’Europe entière. Il fusionnera, corps et esprit, aux dangers doucereux d’un duo écorché.
Accompagné de ces jumeaux (Louis GARREL et Eva GREEN), aussi engourdis par le remord que rongés par le désir, l’adolescent candide s’immergera dans une baignoire définitivement trop petite pour trois… Imprégnés par Jean-Luc GODARD et Robert BRESSON, démolis par la guerre et relevés par Bob DYLAN et Jimmy HENDRIX, cette bourgeoisie juvénile use leurs velours dans des ébats passionnels, emprisonnés dans une demeure vide et suintante. Se caressant sur des fantasmes effleurant la réalité, le trio réinventera le monde, leur monde, à l’abri d’un ailleurs qui les observe par le trou de la serrure.
Improbable mélange entre un Jeux d’enfant (malicieux, inoffensif), et un Ken Park (dépravé, voyeur), The dreamers ne modère pas ses élans érotiques mais n’en glorifie pas la débauche. Le plan d’un sexe, aussi brutalement filmé soit-il, ne semblera pas aussi gratuit et dégradant que dans certaines œuvres de Larry CLARK. La jeunesse se met au service de la sensualité, dernier rempart contre le monde adulte, à la fois excitant et destructeur. Repousser l’inévitable confrontation avec ce vacarme urbain qui se veut de plus en plus pressant…
Le cocon bourgeois, suave et familier, représente-t-il l’antidote, ou le venin ? L’obsession de la scène parfaite, du mot parfait au moment idéal, n’empoisonnerait-elle pas l’épanouissement de ces enfants de mai ? Baignés dans l’univers de Claude CHABROL et Jean-Luc GODARD, abreuvés de discours contestataires, saoulés à la Cinémathèque Française, la Nouvelle Vague ne finirait-elle pas par les noyer ?
Quand des millions de personnes se résument à trois, quand un appartement cossu se transforme en îlot d’ordure et que l’autorité a fichu le camp, seul le regret rappelle la fugacité de cette expérience. Mais c’est un feu qu’on ne peut éteindre. Il n’y pas d’autres choix que de le laisser se consumer en espérant qu’il bâtira plus qu’il ne détruira. Rien ni personne n’est de taille à lutter. Pas même le retour inattendu de deux parents assommés, qui se rendent sans même oser combattre.
Et puis « la rue est rentrée dans la chambre ». D’un état de mise à mort intimiste, les protagonistes se retrouvent alors projetés en pleine réalité, et donc par extension, en plein chaos. Et là, quand la flamme qui les anime s’entremêle à l’incendie populaire, tout vole en éclat. Le lien s’étire jusqu’à finalement rompre. Nous les perdons, à notre tour, dans le nuage immaculé des lacrymogènes. Des carcasses flambantes de ce joli mois de mai, il ne nous restera que le rêve… et l’innocence.
j’ai vu le film et cette critique est particulièrement édifiante