Par Ophélia PAQUIERO
Philippe MARS, ingénieur informaticien divorcé, essaye tant bien que mal de mener une vie tranquille, entre un fils collégien devenu subitement végétarien, une fille lycéenne obsédée par la réussite, une sœur artiste peintre aux œuvres terriblement impudiques et une ex-femme qui bosse à la télé… L’irruption accidentelle de Jérôme, un collègue légèrement perturbé, achève de transformer son existence en chaos. Mais dans un monde qui a perdu la raison, la folie est-elle vraiment si mauvaise conseillère ?
Après le cuisant échec de 2011 Le Moine, Dominik MOLL était malheureusement resté éloigné du cinéma bien qu’il saura nous ravir à la télévision avec sa série Tunnel adaptation de la série suédo-danoise Bron, un excellent polar avec une touche d’humour British et une pointe de noirceur à la Française -les ricains n’ont qu’à bien se tenir !-, le tout porté par Clémence POESIE et Stephen DILLANE.
Il revient cette année avec Des Nouvelles de la Planète Mars, un film beaucoup plus personnel. S’éloignant du Thriller, le genre qui l’avait révélé avec Harry, un ami qui vous veut du bien, il s’essaye ici au conte philosophique sur le ton de la comédie.
C’est pour satisfaire le choix de la comédie qu’entre en scène François DAMIENS et Vincent MACAIGNE, l’un jouant le rôle de Philippe MARS, un personnage dépassé par la société actuelle, l’autre tenant le rôle d’un homme tantôt dérangé, tantôt touchant, tantôt inquiétant (quand il caresse un hachoir pour se détendre, par exemple) répondant au nom de Jérôme. Axé principalement sur la psychologie des personnages, le récit raconte le combat passif d’un homme qui tente de maintenir sa vie dans une zone de normalité fade et sans intérêt alors que le chaos qui l’entoure le fait dériver. Un propos réalisé avec brio par un Dominik MOLL inventif ; une sensation d’enfermement va rapidement être ressentie par les limites du cadre qui encercle et malmène le personnage (une sensation amplifiée par le côté très nocturne du film menée par le directeur de photographie Jean-François HENSGENS). Mais pas seulement… les lieux et la musique choisis ont aussi leur importance. En effet la musique est bien peu présente dans ce film : un léger thème jazzy fait son apparition parfois mais la majorité des dialogues entre les personnages se font dans le silence le plus total. D’autre part, quasiment la totalité des scènes du film sont filmées en intérieur (à part les promenades du chien et la fin du film) : l’appartement de Philippe, le bureau, la salle d’opération de l’hôpital, l’ascenseur, la voiture, des couloirs, encore des couloirs… bref, on étouffe. Il n’est pas étonnant que Philippe Mars rêve d’apesanteur en s’imaginant astronaute.
Et c’est ici qu’entre en jeu la performance surprenante de François DAMIENS (qui était la raison première de ma présence au cinéma). Il nous offre un personnage ambigu partagé entre l’aversion et la fascination pour la folie ambiante qui règne autour de lui et prend de plus en plus de place, mais le fait tout en retenue. Un jeu d’acteur terriblement approprié, laissant au spectateur le loisir de décrypter les non-réactions de ce personnage passif au possible.
Petit à petit le récit offre un nouvel axe de lecture. Celui du fossé séparant les générations (l’irrésistible scène où Philippe essaie de sensibiliser ses enfants à l’humour des Marx Brothers m’a particulièrement plu). Même si le sujet est profond, il est traité avec légèreté. Mais vous l’aurez compris, il y a plusieurs angles de lecture pour ce film. On peut le voir comme une simple comédie saugrenue, tout à fait irrésistible se laissant porter par des répliques assassines, des personnages déjantés interprétés par d’excellents acteurs. Mais aussi l’aborder comme une représentation quelque peu désenchantée d’une société bancale… Car de nombreux sujets sont touchés par ce film : crise économique, stress, chômage, dépression, catastrophe écologique, etc. Toujours énoncés sur un ton léger mais faisant partie intégrante du récit, ces sujets graves mettent en souffrance les protagonistes de façon profonde et passe l’absurdité des petits tracas de leur vie sur un second plan.
On peut aussi considérer le film comme une longue divagation de Philippe MARS qui crée lui-même ces situations oniriques pour se sortir de sa dépression post-traumatique suite à l’accident au bureau. Dominik MOLL et son scénariste Gilles MARCHAND assume tout à fait leurs influences Lynchiennes, on y retrouve même un hommage à Mulholland Drive à travers les parents fantomatiques de Philippe MARS (joué par Michel AUMONT et Catherine SAMIE). Tous ces angles de lecture soulèvent un problème commun à tous les films de cette ambition : il n’approfondit aucune de ces voies. C’est comme s’il poussait le public dans une direction pour lui dire « regarde ça ! La société va mal » puisqu’il enchaînait avec un gag comique : « Ce n’est pas parce qu’on aborde des questions sérieuses qu’il faut s’interdire d’être drôle » (cit. Dominik MOLL). Il ramène ainsi systématiquement le spectateur à un ton plus léger.
Il y aura sans doute trois catégories de réaction face à ce film : Ceux qui sont seulement venus voir une comédie et qui se perdront dans les sujets abordés sans doute considérés comme trop sérieux pour une comédie. D’autres se languiront de voir le film se convertir définitivement en drame social (et on les comprend) pour approfondir les thèmes approchés mais en vain. Et la dernière catégorie, à laquelle j’appartiens, sera fascinée par le travail de Dominik MOLL qui nous offre ici une comédie intelligente nappée d’une folie douce qui ne peut laisser personne totalement indifférent. En deux mots : un film réussi et rare.
Retrouvez également Ophélia PAQUIERO sur Youtube avec Ofée du Cinéma
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